C’est le seul endroit où on peut se retrouver seul. Sauf que moi j’ai même pas besoin de ça pour être seul. J’ai dû rater un truc le premier soir, j’ai raté le train pour l’intégration, j’aurais peut-être du sauter dans la piscine, pour être ‘un des leurs’. Ou m’ouvrir la joue, ou péter un câble comme Gael. Trop tard, je suis resté au sec pendant cette première soirée, mon sang n’a pas coulé. Et depuis, le moment que je préfère c’est quand je suis ici. Au moins les téléspectateurs ne voient pas à quel point je suis nul en relations humaines. Quand je suis assis dans cette pièce sans caméra, j’essaye de réfléchir, de trouver un stratagème. En ressortant l’autre jour, je me suis dit qu’il faudrait installer des [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien] dans ces toilettes, comme dans les salles de conférence, pour que je puisse prendre des notes de mes réflexions !

Quand soudain –oui j’aime faire de ma vie un roman parfois, et particulièrement quand je suis aux toilettes en pleine concentration- QUAND SOUDAIN, je vis la poignée –ou la clinche- s’abaisser.

- C’EST OCCUPE ! Mais si t’as un truc à manger je peux te faire une place.

Peu importe la personne à qui appartient la main qui a tenté de pousser la porte, je crois qu’elle n’entrera pas. Et je ne connaitrais jamais son identité. Dommage, j’aurais pu faire un peu plus connaissance avec au moins un(e) candidat(e). Pour une première conversation en tête à tête, je trouve le lieu plutôt agréable.

An Angel Will Die.

C'était vraiment mal foutu, ces toilettes. Ou plutôt cette toilette. Une pièce d'un mètre carré pour onze candidats... idéal. Pour couronner le tout, aucune indication pour savoir si quelqu'un est à l'intérieur. On est obligé de pousser la poignée et se prendre des dizaines de « C’EST OCCUPÉ ! » par jour. Et je vous raconte même pas quand on est à l'intérieur. Surtout moi qui ai toujours peur que le verrou se casse... Mais les choses vont changer, et cela dès maintenant grâce à moi ! Je commence par pousser la poignée pour vérifier qu'il n'y a personne.

- C’EST OCCUPE ! Mais si t’as un truc à manger je peux te faire une place.

Qu'est-ce qu'il a besoin de hurler de la sorte ? Je suis juste derrière la porte, s'il a oublié. Et d'ailleurs, c'est qui à l'intérieur ? On dirait un garçon, mais sa voix est vraiment bizarre. Et pourquoi est-ce qu'il me parle de manger ? Vraiment tous des attardés, ici... Bon, tant pis pour lui. C'est parti pour l'opération « J’améliore notre quotidien » ! Et pour une fois, on pourra lui dire merci, à Gregor !

- N'aie pas peur, ça va un peu faire tremblement de terre, mais rien de grave !

Je ne peux pas m'empêcher de rire. Le pauvre, il doit vraiment se demander ce qui va se passer. J'aurais pu attendre qu'il sorte... mais c'aurait été beaucoup moins drôle ! Je fixe un clou contre la porte et commence à le planter à l'aide du marteau. Ca fait plus de bruit que prévu. Tous les candidats assis dans le salon me regardent avec des grands yeux. C'est à mourir de rire, ils doivent croire que je mets la pression à la personne à l'intérieur pour qu'elle se dépêche de sortir ! D'ailleurs, ça fait tellement de bruit que je n'entends pas ce qu'ils disent. Peut-être que le mec à l'intérieur me hurle d'arrêter ? Eh, en fait on s'amuse bien dans cette maison !

Maintenant que le clou est fixé, je m'assieds par terre et étale mon matériel en face de moi. Je fais deux trous de manière assez barbare dans une feuille de papier et y passe une fine corde. Aidé d'un marqueur indélébile, j'inscris « You're welcome » d'un côté et « Get out of here ! » de l'autre. C'est quand même plus drôle que libre « Libre » et « Occupé », non ? Et voilààà, je n'ai plus qu'à faire pendre ma petite pancarte à mon petit clou ! Je la tourne du côté qui indique la présence de quelqu'un à l'intérieur et adresse un mot au garçon, peut-être mort d'une crise cardiaque d'ailleurs.

- Tu as été très courageux, p'tit gars ! Maintenant, tu peux rester autant que tu veux, plus personne ne viendra t'embêter !

Je me dirige vers la cuisine et saisit une pomme dans la corbeille à fruits. Je me replace devant l'entrée de la toilette. On va voir s'il est vraiment capable de me laisser entrer si j'apporte de la nourriture.

- J'ai un fruit défendu en mains, ça t'convient ?

Tremblement de terre ? Mais de quoi il me parle lui ? Pendant deux secondes j’ai un doute. Je suis pas rentré dans des toilettes de chantier qu’on bouge comme on veut ? Ces trucs à roulettes là. Je m’en serais aperçu quand même. Mais en même temps les murs de cette maison sont un peu en carton, alors je m’attendais à ce qu’il essaie de défoncer la porte, ou qu’il fasse bouger les murs pour me faire sortir plus vite. Mais non, au lieu de ça alors que je fixais la porte avec appréhension, je vis une pointe surgir au milieu de celle-ci. Ok, tout va bien, le mec n’a pas trouvé mieux à faire que de venir planter son clou sur la porte des toilettes alors qu’il y avait quelqu’un dedans. Je sais que je squatte souvent, mais quand même.

Une fois le silence revenu, je m’apprêtais à ouvrir la porte pour laisser la place à celui qui avait l’air d’en avoir besoin. Mais son «p’tit gars» me fait hésiter. J’avais déverrouillé la porte pendant qu’il jouait du marteau. Et maintenant ? Je me retrouve seul à nouveau, comme on devrait toujours l’être dans un lieu pareil. Je me réinstalle confortablement sur le couvercle de la cuvette que j’avais fermé à mon arrivée, mais la voix derrière la porte est de retour. Avec un fruit défendu ? Hm, intéressant.

C’est ouvert.

Je replie un peu les jambes, histoire de garder mes deux pieds valides quand il poussera la porte, si toutefois il ose le faire. Il n’est pas censé savoir que je m’assois dans les toilettes comme je pourrais m’asseoir sur mon lit, pour être tranquille. A sa place je serais très certainement déjà parti. Qu’on se le dise, je n’ai jamais eu le caractère pour affronter qui que ce soit, même dans ce genre de situation futile. Mais j’ai le sentiment que le mec qui me parle à travers la porte est tout à fait capable de gérer ce genre de situation. Et puis tant pis, je vais lui faciliter la tache ! J’attrape la poignée et tire la porte vers moi tout en restant assis.

Ah c’est toi. Il est où ton fruit défendu ?

J’imagine la scène vue de l’extérieur, juste à ce moment là. Moi dans les toilettes, Gregor face à moi, parlant de fruit défendu… Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Mes yeux se posent finalement sur la pomme qu’il tient fermement dans sa main gauche.

Tu veux te la jouer à la Adam & Eve ?

Je préfère ne pas penser à ce qu’il est en train de se dire, de ce qu’il pense d’un mec assis sur les toilettes comme ça pour rien. Non, je ne préfère pas savoir.

An Angel Will Die.

C'est ouvert, vraiment ? Je ne m'attendais pas à ce qu'il tienne parole et me laisse entrer pour de vrai. Que faire, maintenant ? Continuer à jouer le jeu ? Quoi qu'il en soit, ce garçon est vraiment louche. Il peut être timide et renfermé et se montrer complètement hystérique dix minutes plus tard. C'est certain, il est tout sauf rationnel.

Je me décide à ouvrir la porte. Ce n'est pas que j'ai envie de le voir sur le pot, mais je ne suis pas du genre à me défiler. A mon grand soulagement, son pantalon est relevé et le couvercle de la cuvette fermé. Sam est assis au-dessus de celui-ci. Un sourire malicieux aux lèvres, il regarde la pomme que j'ai en main et évoque Adam & Eve. Hum, qu'a-t-il derrière la tête ? Ce mec est vraiment spécial et je préfère me tenir à carreaux quand il me sort ce genre de phrases. Néanmoins, il me fait beaucoup rire. Tout compte fait, c'est lui la perle du casting ! On le croyait inutile, mais il est capable de nous en faire voir de toutes les couleurs. Puis avec sa tête carrée et son sourire vicieux, il ressemble à un psychopathe en version miniature. Je pense que je peux compter sur lui pour me divertir tout au long de l'aventure !

Pour ne pas rester face à lui sans rien faire, je croque dans la pomme et lui tends ensuite.

- Je viens de commettre un péché impardonnable. Maintenant c'est ton tour. Tiens.

Je n'en oublie pas pour autant les candidats susceptibles de me regarder du salon ou du couloir. Ils trouvent sûrement ça louche de me voir parler à quelqu'un aux toilettes. Je décide donc d'entrer et de fermer la porte derrière moi. Après une seconde, je réalise que ça va paraître encore plus bizarre que je m'enferme avec lui. Eh bien tant pis, laissons planer un peu de mystère dans l'atmosphère ennuyeuse de cette maison ! La pièce ne dépasse pas les deux mètres carrés et Sam, déjà serré contre lui-même, doit presque se recroqueviller pour me laisser entrer.

- Nous voici dans la situation la plus stupide du monde. Enfermés dans les toilettes minuscules d'une maison en plastique avec pour seule compagnie une pomme entamée. Que comptes-tu faire maintenant ? Sache, petit gars, que je m'offre à toi.

Oups, ce n'est pas exactement ce que je voulais dire...

Je le regarde croquer dans sa pomme, et c'est avec un sourire pervers que je lui prend des mains lorsqu'il me la tend. Je ne pensais pas qu'il serait capable d'ouvrir la porte, et encore moins de rentrer et de refermer la porte derrière lui ! J'imagine déjà les rumeurs qui vont circuler dans la maison, et à l'extérieur ! Je vois déjà les titres des mag' :

GREGOR ET SAM, EN COUPLE DEPUIS 3 ANS !

Ca me fait rire, surtout parce que je pense que ça ne fera pas rire Gregor

'Sache, petit gars, que je m'offre à toi.' J'ai l'impression que sa voix fait écho dans cette minuscule pièce. Ou alors c'est dans ma tête que ça résonne. J'aime sa façon de m'appeler petit gars, là tout de suite. Ce mec cache bien son jeu. J'aurais préféré que tout le monde le voit comme je le vois maintenant. Evidemment il a fallu qu'on choisisse les toilettes... Personne ne pourra savoir ce qu'il se passe ici. Alors pourquoi pas... Je croque dans la pomme à mon tour, avant de la laisser tomber sur le sol. Enfin sur la jambe de Gregor en réalité.

- Et si c'était toi que je croquais maintenant ?