Je ne cessai de me tourner et me retourner dans mon lit une place bleu vif. J’avais officiellement élu domicile dans la chambre dite « des garçons » ce qui avait été une évidence dès mon arrivée dans la maison : de une parce que le rose était un peu trop omniprésent, de deux parce que naturellement, je m’entendais mieux avec les garçons. C’était toujours ça dans la vie de tous les jours et être isolée avec des inconnus n’avait rien changé à ma nature. Mon lit était donc disposé entre celui de Priam et celui d’un garçon dont je n’arrivais toujours à retenir le nom. Un bel apollon, comme la quasi-totalité des hommes rentrés ici. Je repoussai la couverture au bout de mes pieds pour espérer un quelconque changement mais rien n’y faisait : ce ne devait pas être la température étouffante qui me gênait, sûrement quelque chose de plus profond. Enfin, il était clairement inutile d’attendre allongée dans ce lit que le sommeil m’emporte ; il n’était de toute évidence pas décidé à me faire une offrande ce soir. Je soupirai un grand coup et me levai d’un bond avant de m’échapper de la chambre de mon pas délicat de danseuse pour ne pas réveiller ceux qui avaient eu la chance de pouvoir s’endormir sans problème. J’arrivai dans la cuisine et me fis chauffer un peu d’eau que je versai dans une grande tasse avant d’imbiber un sachet de thé à l’intérieur. J’appuyai mes fesses contre le comptoir en regardant droit devant moi avant de tourner la tête vers le dehors. Etrangement, les volets n’avaient pas encore été baissés dans cette partie de la maison alors qu’il devait être dans les trois heures du matin. Je sursautai alors en voyant une masse bouger sur un pouf. Je me décidai de sortir alors pour rejoindre la personne sans même savoir son identité – tant qu’on pouvait m’occuper un peu… Je poussai la porte vitrée et arrivai dans le jardin. Je n’avais pas vraiment évalué la température extérieure mais il faisait un froid de canard et la différence avec la chaleur de la chambre me fit frissonner. Je m’approchai de la masse et m’assis sur un pouf. Gaël regardait droit devant lui, les yeux grands ouverts. Lui non plus ne devait pas trouver le sommeil. Je penchai ma tête légèrement en arrière et posai ma tasse encore bouillante sur l’herbe synthétique.

_ Toi non plus tu n’arrives pas à dormir ?

Je regardai le ciel tout étoilé qui était nettement dégagé en cette soirée d’été. Je frissonnai à nouveau et me recroquevillai pour garder ma chaleur. Le ciel était un petit peu la seule chose naturelle qu’on nous avait laissé et je ne me lassais pas de le contempler.

Gaël ne répondit pas immédiatement à ma question. Il avait l’air dans une sorte de demi-sommeil, réveillée mais rêvant légèrement, et ses gestes semblaient lents, mesurés. Je ne voyais pas grand-chose dans la pénombre puisque la prod avait coupé toutes les lumières au moment où ils avaient baissé les volets des chambres mais une épaisse fumée arriva devant mes narines ; j’en conclus donc qu’il était en train de fumer. Il m’indiqua enfin au bout de son silence qu’il n’avait pas pris la peine d’aller se coucher et qu’il avait envie de profiter du fait que la maison soit vide pour contempler la nuit telle qu’elle était. J’esquissai un petit sourire. J’adorais la nuit, bien plus que le jour. La journée, je passais essentiellement mon temps au studio pour m’entraîner, la plupart du temps jusqu’à dix heures par jour. La tombée de la nuit indiquait que j’allais pouvoir souffler et même si j’étais raide dingue de mon métier, c’était un soulagement que de pouvoir me reposer après un entraînement si intensif. Mon professeur était comme une deuxième maman pour moi puisque j’avais la même depuis que j’avais cinq ans, et j’avais tenu à la garder en supplément après que j’eus intégrer un ballet. Elle continuait à m’entraîner lorsque nous n’avions pas de répétitions, pour mon plus grand plaisir. Gaël se tourna alors et vit que la température ne me convenait pas tellement, puisqu’il me tendit sa veste en m’indiquant qu’il ne voulait pas que je tombe malade, en s’empressant toutefois d’ajouter qu’il ne voulait pas jouer au garde-malade. Il aurait juste pu dire qu’il ne voulait pas que je sois malade, c’était nettement plus agréable comme initiative ! Je ne relevai cependant pas et enfilai sa grosse veste – grosse par rapport à moi, j’entendais - et une odeur masculine vint alors se coller à ma peau.

_ Merci, promis, si tu tombes malade, c’est moi qui jouerai le garde-malade. lui lançai-je en souriant.

Il n’avait pas l’air très frileux, cependant. Il avait juste l’air d’apprécier la fraîcheur de la nuit. Après tout, je l’avais peut-être dérangé ! D’ordinaire, je ne me posais pas trop de questions et depuis que nous étions arrivés, j’essayais de profiter de chaque moment seul avec un autre candidat pour discuter un petit peu, pour faire plus ample connaissance – c’était aussi une raison d’être ici, en apprendre un peu plus sur la nature humaine et sur les autres !

_ Pourquoi est-ce que tu es venu ici ?

Je n’avais aucune idée de la raison de la venue des autres ici. J’espérais que seulement une toute petite poignée serait pour la notoriété, je n’aimais généralement pas ces personnes-là. Chacun avait forcément un but en venant ici, on n’acceptait pas d’être enfermés deux-trois mois avec des inconnus pour le plaisir. Quoique, pour certains, ce devait être seulement une grosse partie de plaisir, un jeu géant !

Gaël m’indiqua que s’il était ici, c’était avant tout parce qu’il adorait le contact humain et qu’il souhaitait rencontrer des personnes. Je restai très, très sceptique. Vraiment ? De toute évidence, il se foutait de moi ! Je ne pouvais pas croire un seul instant qu’il aimait être enfermé H24 avec des personnes qu’il ne connaissait pas. Il ne parla pas pendant plusieurs secondes, avant d’enchaîner en me disant qu’en réalité il était là pour son secret. Pas d’argent, pas de gloire. Bizarrement, cela ne m’étonnait pas. Je ne le voyais pas comme quelqu’un avide de reconnaissance, prêt à tout pour apparaître sur les magazines, ou encore voulant à tout prix qu’on parle de lui encore trois ans après son apparition à la télévision. Il venait donc de m’avouer que son secret était quelque chose de plutôt fort. J’avais envie de le questionner sur ça, de savoir, parce que vous ne pouviez pas savoir à quel point ce pouvait être frustrant de savoir que l’autre vous cachait quelque chose d’important mais qu’il ne pouvait rien dire dessus ! C’était donc une cause qu’il défendait ici. Je creusai mes méninges pour essayer de lire entre les lignes, de comprendre un message caché derrière ses mots qui, apparemment, n’existait pas. Alors que j’étais en intense réflexion, il me tendit son bol de céréales déjà entamé. Je souris en l’attrapant et plongeai la cuillère à l’intérieur avant de porter le goût sucré à ma bouche. Je m’installai en tailleur tandis qu’il me demandait pourquoi moi, j’étais venue ici. Je terminai ma bouchée avant de lui répondre.

_ Ça peut peut-être décevoir mais je suis surtout là pour l’argent. Evidemment, je défendrai la cause de mon secret aussi, mais c’est moi qui, entre autre, fais vivre la maison, donc bon…

Ma mère attendait beaucoup de mon séjour dans le jeu. J’abandonnais quelques temps mon travail pour essayer de gagner une somme importante. Ramener beaucoup d’argent signifiait aussi le retour à la liberté. Si j’arrivais à remporter une belle somme, je pourrais enfin laisser ma mère se débrouiller sans moi avec cet argent et je pourrais commencer une vie sans conditions. J’avalai une nouvelle bouchée de céréales en tournant ma tête dans l’obscurité pour le regarder.

_ Comme ça tu es là pour une cause qui te tient à cœur ?

Il était évident que c’était une meilleure motivation. Peut-être que venir pour l’argent était égoïste, que je n’allais pas en faire profiter des tas d’associations, certes, mais j’engageais le train de vie de ma famille. Ne serait-ce que pour mes petites sœurs et ma mère. Mon frère, également, aurait moins de charges à porter. Donc oui, j’assumais totalement mes raisons. Cependant, il était vrai que parler de mon secret me ferait le plus grand bien, une fois que celui-ci serait découvert – soit le plus tard possible, je l’espérais.

Gaël ne me répondit rien d’autre que « ouais, exactement ». En même temps, je ne m’attendais pas à ce qu’il me raconte le pourquoi du comment de son secret. Comme son nom l’indiquait, il devait le garder pour lui ! Je trouvais ça difficile de cacher quelque chose d’important, qui nous touchait, aux autres. Nous vivions 24h/24 ensemble, il était donc normal qu’au bout d’un moment, nous souhaitions partager certaines choses. Moi par exemple, en cette nuit tranquille, étoilée et fraîche, pendant cette conversation entre quatre yeux – et des dizaines de caméras -, j’avais envie de parler de moi et donc de mon secret avec Gaël. Mais c’était impossible. Il fallait que je me fasse au principe ! Je tirai sur les manches de la veste de Gaël pour me recouvrir les mains. Les extrémités de mon corps commençaient à geler sur place : mon nez, mes oreilles, mes mains, mes pieds… Je devenais bien frileuse, car en plein mois de juillet, il ne devait pas faire si froid que ça ! J’étais sûrement un peu déboussolée. Tous les repères étaient chamboulés ici et je me demandais toujours si j’allais réussir à m’y faire. Pas d’horaire, pas d’obligation. Nous étions lâchés en pleine jungle : et je pesais mes mots, la jungle médiatique valait bien la vie sauvage. Il se tourna alors vers moi et pour la première fois, nos regards se croisèrent et il planta ses beaux yeux dans les miens en me déversant un flot de vérité, « Tu vois ça? Ça c'est moi, et derrière ce visage, derrière ce que je montre de moi, derrière ce que je vous montre de moi, y'a quelque chose tu vois? Tout ce que je vous cache, ce qui constitue mon secret... ça, ce secret... ça c'est vraiment Gaël! Ça c'est vraiment moi! Ce que tu vois en face de toi n'est qu'un visage tronqué, qu'un visage faux, parce que nous sommes tous des faux semblants. Je ne fais pas exception à la règle sur ce coup-là... ». Je restai silencieuse tandis qu’il tournait à nouveau sa tête, rompant le lien. A mon tour, je regardai en face de moi, les yeux fixés sur les baies vitrées donnant sur le salon.

_ Nous sommes tous des faux-semblants… murmurai-je en reprenant ses propres mots.

J’étais d’accord, et cette vérité s’appliquait ici mais d’autant plus dans la vraie vie. Chaque jour, nous enfilions notre masque pour cacher nos peurs, nos doutes, nos regrets. Notre masque qui nous permettait de camoufler tous les accrochages d’une vie : je savais très bien de quoi il parlait. J’étais une grande adepte de ce masque, de ce « non, il ne s’est jamais rien passé ». Il éteignit sa cigarette presque entièrement consumé et me demanda ce que j’avais pu dire pour convaincre la production de me prendre ici dans le jeu. Je vis une caméra se tourner vers nous pour mieux capter notre conversation, nos moindres faits et gestes. Peut-être que demain, toutes les informations que nous échangions seraient transmises à des millions de téléspectateurs. Chacun de nous, nous devions tout contrôler, nos actions comme nos paroles – surtout nos paroles. Toujours dans un murmure, un chuchotement, je lui répondis. Comme si j’avais peur de réveiller quelqu’un.

_ Je peux être très douée pour créer des histoires. J’ai l’air inoffensive comme ça mais…

J’en disais trop. De toute évidence, je me sentais bien trop à l’aise avec lui et ce confort pourrait finir par me jouer des tours.

_ Je ne te pose pas la question. ajoutai-je d’un ton sarcastique, estimant avoir bien cerné le personnage qu’il s’était donné.

Le temps paraissait s’être arrêté. Je me sentais à l’aise, ici, dehors. J’avais presque l’impression d’être assise sur un banc du Jardin Public bordelais, à contempler les étoiles avec des amis. Presque l’impression de n’avoir aucune contrainte, rien à cacher, d’être juste moi-même. Sauf qu’en réalité, je discutais avec quelqu’un que je ne connaissais pas, en qui je n’avais aucune idée si je pouvais lui faire réellement confiance, et surtout, nous portions des micros et une dizaine de caméras captait nos moindres faits et gestes. Alors non, je n’étais pas libre comme je l’imaginais, mais j’avais accepté tout ça en venant ici. Ils voulaient du spectacle, j’étais capable de leur en donner ! Gaël m’avait l’air totalement inoffensif. J’étais persuadée que ce n’était pas une mauvaise personne comme il essayait de me le faire croire, en m’assurant qu’il était dans la vie comme il se montrait ici, soit un connard qui avait plu à la prod. Il pouvait me raconter ce qu’il voulait, je m’étais déjà forgée une opinion sur lui et il m’en fallait plus pour me montrer qu’il était si con que ça. Il échappa un petit rire étrange, presque nerveux. Il devait se rendre compte qu’il était en train de raconter des choses à une personne qu’il ne connaissait pas, et rien ne pouvait encore lui prouver que j’étais inoffensive. Pourtant, je savais au fond de moi que pour certaines choses je le serais, comme les confessions qu’on me faisait au clair de lune.

_ Si tu pars de ce principe on a tous une part de con en nous. Seulement, tu n’as pas l’hypocrisie de la cacher comme la plupart des gens ici.

J’assumais totalement ce que je disais et plus que ça, j’y croyais dur comme fer. Je préférais encore discuter avec quelqu’un qui me montrait à quel point il pouvait être mauvais que quelqu’un qui me le cachait derrière un joli masque de gentil minet. Il me demanda alors très sérieusement comment moi, je pouvais créer des embrouilles. Comment la gentille jeune femme qui faisait vivre sa famille pouvait monter les autres alors que je m’étais plus montrée comme une modératrice. Il était vrai que chez moi, j’étais la parfaite personne pour apaiser les tensions. Je m’étais également présentée ici comme une fille capable de calmer le jeu. Mais au fond, la prod m’avait bien demandé d’être une véritable peste, comme à la plupart des gens ici. Il fallait bien que je me force, mais pour rester et vivre dans le jeu, pour exister aux yeux des téléspectateurs, j’avais bien peur que rester la médiatrice et ne pas me mouiller pouvait jouer contre moi. Et mon premier but, je ne devais pas l’oublier, était de gagner.

_ J’aime pas faire du mal. Et je ferai tout pour ne pas en faire. Mais tu dois bien savoir que pour gagner ici, il faut exister.

Je soupirai. En fin de compte, je n’étais pas une fille toute rose toute mignonne, comme les autres pouvaient peut-être me voir. J’étais avant tout là pour dépasser les autres. C’était la raison pour laquelle je ne devais pas créer d’affinités trop fortes car je savais que dans ce cas, je pourrais plus être en compétition avec des personnes que j’aimais, et je serais perdue.

_ En fin de compte Gaël, tu es sûrement une meilleure personne que moi.

Je ne savais pas vraiment si je croyais en ce que je disais. Entre être un connard ou une hypocrite, je ne savais pas vraiment ce qui était le mieux…