ANAE & ANA - sing for me.

Rule number one, is that you gotta have fun. De la farine. Rule number two, just don’t get attached to somebody you could lose. Du lait, dans la casserole, sur la plaque électrique. Chauffer un peu. Ajouter à la farine. Mélanger. Ajouter les œufs. Mélanger. Un peu de sucre. Pas trouvé de fleur d’oranger dans les placards. Tant pis. Encore du sucre. Mélanger.

Je l’avais vu tout à l’heure, posé sur la table de la cuisine. Il était là, tel un lion prêt à attaquer. Je l’ai vu, alors que j’étais assise sur le canapé dans le salon. Je l’ai vu, j’ai senti sa présence. Sa présence maléfique. Il fallait l’éliminer. Je me suis levée et je l’ai rangé dans le placard, bien au fond, caché par les boites de céréales, le pot de Nutella, les cracottes… Et pour que personne ne pense à ressortir ce paquet de pain de mie, j’ai décidé de faire des crêpes. Je déteste le pain de mie. Ce truc ne mérite même pas de s’appeler pain. C’est comme du pain prémâché. Je déteste le pain de mie.

J’étais donc en pleine préparation de pâte à crêpes. Je chantais seule dans la cuisine, en plein fouettage. Et encore une fois je me demandais ce que les candidats pouvaient bien faire dans le jardin. Même si la piscine avait l’air de manquer aux autres habitants, je préférais faire partie de ce groupe, je ne suis pas sûre que j’aurais supporté de passer tant de temps dehors. Le camping c’est bien une nuit. J’étais perdue dans mes pensées lorsqu’une personne me rejoignit dans la cuisine.

Oh salut Anae !

Je lui souris avant de fouiller une nouvelle fois dans les placards à la recherche des poêles à crêpes.

Pas ici. Là non plus. Ici peut-être ? Toujours pas. Celui d’à coté est forcément le bon. Mais non. J’ouvrais les placards les uns après les autres, quand Anae se leva de sa chaise pour me rejoindre. Et la poêle apparut dans sa main comme par enchantement. Non mais elle vit ici depuis quand ? C’est dingue. Et de la voir là, poêle en main, face à moi, une image me vient à l’esprit. Raiponce.

Ow careful Rapunzel ! J’affiche un air faussement paniqué, les mains en avant, essayant de me protéger d’une potentielle attaque. Je ne suis pas sûre d’avoir jamais eu un vrai talent d’actrice, mais j’aime faire semblant. J’attrape la poêle doucement, sans geste brusque. Merci ! Et je lui adresse un grand sourire de reconnaissance. Je vais enfin pouvoir me mettre au travail. J’allume la plaque électrique et y pose la poêle. Attendant qu’elle soit prête à recevoir ma pâte à crêpes express, je sors deux verres que je pose sur la table.

La deuxième crêpe sera pour toi, comme la première est toujours ratée. En attendant, tu veux boire quelque chose ? C’est la maison qui offre !

Je verse une louche de pâte dans la poêle, et dans un mouvement de poignet étudié je fais en sorte qu’elle recouvre toute la surface. Je me retourne de nouveau vers Anae, plutôt fière de cette première crêpe qui ne semblait pas trop mal parti.

J’observais l’intérieur du frigo à la recherche de la bouteille de coca, et du jus de pomme que j’étais sûre d’avoir vu quelque part par là la veille. Une fois que je mis enfin la main dessus, je servis un verre de coca à Anae et me servis un jus de pomme bien frais. Je levai mon verre vers le sien avant d’en boire une gorgée puis de reposer le verre sur la table. J’avais presque oublié qu’il y avait une crêpe en train de cuire dans la poêle ! Et si Anae voulait manger la première ET la deuxième, je n’avais pas intérêt à la laisser cramer. Je me replaçai alors devant la plaque, attrapant le manche de la poêle. Et là, le dilemme. Soit je la retournais avec la spatule, pas de prise de risque. Soit je le faisais à la classique, faire virevolter la crêpe en l’air avant de la rattraper bien comme il faut dans la poêle. Cette solution étant la plus classe, bien évidemment. Sauf que je la rate trois fois sur quatre.

Mais après tout je n’ai rien à perdre. A part me rendre ridicule devant Anae qui attend sa crêpe. Tant pis, je me lance. Alors un… deux…… et trois ! Je lance la crêpe au dessus de la poêle, avec un peu trop d’enthousiasme. Elle atterrit au dessus du placard. Bon bah c’est raté. Je jette un regard vers Anae, l’air désespéré. Je savais bien que je n’y arriverais pas. Je me hisse sur la pointe des pieds, les bras tendus, mais rien à faire, c’est trop haut.

Hm… tu veux bien m’aider s’il te plait ?

Je suis sûre qu’elle n’aura aucun mal à atteindre le haut du placard. Moi avec mon mètre 57 forcément je ne suis pas de taille…

Vu l’état de la crêpe, je ne suis pas sûre qu’ils aient pensé à faire les poussières au dessus des placards. Je ne les faisais pas non plus chez moi, et il a peut-être un cadavre de crêpe qui y dort depuis des mois, parce que chaque fois je tentais le coup, et chaque fois au moins une crêpe atterrissait là haut. Je regardai Anae en grimaçant, et attrapai la crêpe avec deux doigts, comme on tiendrait une chaussette sale. Ugh, je ne pense pas qu’ils aient pensé qu’une crêpe pouvait éventuellement atterrir là, ni que quelqu’un irait voir ce qu’il se passe au dessus des placards. Bon désolé tu n’auras pas la première, celle là est pour la poubelle. Joignant mon geste à la parole je jetais la crêpe dans la poubelle, avant de reverser une nouvelle louche dans la poêle. Et celle-ci promis je ne la jette pas ! Après avoir reposée la poêle sur la plaque, je me dirige vers la table et bois une nouvelle gorgée de mon verre de jus de pomme avant de revenir vers la plaque inspectée mon travail.

Je tournai la tête vers Anae. Ca va toi ? L’intégration dans la maison se passe bien ? Attendant sa réponse, je commençai à réfléchir à ce que j’aurais pu répondre si la question m’était destinée. Et à vrai dire, je n’en avais aucune idée. Cela faisait si peu de temps et pourtant j’avais l’impression qu’il s’était déjà passé tant de choses. Et pourtant nous n’étions encore que huit dans la maison. Je crois que je me sentirai complètement perdue lors de la réunification.

Je retournai la crêpe avec la spatule, avec toute la prudence possible. Si je ratais celle-là, Anae allait vraiment me prendre pour une ratée, une fille qui essaye de faire des crêpes alors qu’elle en est incapable. Je ne sais pas pourquoi je ferais ça, quel genre je me donnerais en faisant semblant de savoir faire des crêpes ? J’écoutai sa réponse avec attention. Je crois que c’est ce que j’aurais répondu moi aussi. Oui, le groupe jardin me fait un peu peur. Nous avoir séparé comme ça dès le début.. je sens venir la guerre des clans ! Mais sinon ça va, il faut un peu de temps pour qu’on trouve nos habitudes. J’aime les habitudes, j’ai besoin des habitudes pour vivre. La poêle dans la main, je m’arrêtai deux secondes. Je m’étais laissé emporter par la conversation, et je crois que j’aurais pu partir trop loin. Je me raccrochais à la réalité, les crêpes. Et celle-ci était réussie ! Je la déposai dans l’assiette et la tendis à Anae. Pour toi ! Et je te réserve la troisième !

Sans attendre je versai une nouvelle louche de pâte dans la poêle. Mais… catastrophe. Je ne sais pas comment je me suis débrouillée, mais en voulant reposer la louche dans le saladier… le saladier s’est retrouvé par terre. AH ! mais qu’est ce que j’ai fait ? Comment j’ai fait ça ? Il va vraiment falloir que j’abandonne l’idée de faire quoi que ce soit dans la cuisine. La pâte s’étale sur le sol, formant une énorme flaque autour du saladier.

Je me cache les yeux avec les mains, je ne veux pas voir les dégâts. C’est la première fois que ça m’arrive. Autant les crêpes volantes qui atterrissent toujours là où il ne faut pas, j’ai l’habitude, mais ça… Je suis une catastrophe. Cette maison me perturbe, j’ai l’impression de ne plus être moi-même. Je veux dire, depuis quand je suis maladroite ? Non je ne le suis pas. Il se passe quelque chose dans cette maison, quelque chose de bizarre. Et bien je crois qu'on ne mangera pas de crêpe aujourd'hui... J’ai tellement honte ! J’écarte à peine les doigts pour évaluer l’ampleur du carnage. Et moi qui avais l’intention de faire plaisir à mes colocataires. J’abaisse mes mains, la regardant ramasser le saladier et le mettre dans l’évier. Bon… Tu auras au moins le plaisir d’en manger une. Dis-je en jetant un coup d’œil à la seule et unique crêpe qui trônait dans l’assiette sur la table.

Désespérée. Désespérante. Je regardais le liquide s’étendre sur le sol, et reculai d’un pas avant d’en avoir plein les chaussettes. Je fis un signe de tête à Anae en direction de la crêpe. Vas-y je t’en prie mange-la, je vais chercher de quoi nettoyer mes conneries. Je restai encore deux secondes à contempler mon œuvre, avant d’ouvrir le placard sous l’évier. Malheureusement pour moi, il ne contenait pas ce dont j’avais besoin. Je me dirige alors vers la table, et attrape la nappe par les deux mains. Et je tire d’un coup sec ! L’assiette contenant la crêpe est toujours entière, posée sur la table, tandis que la nappe est désormais entre mes mains. Au moins ça, j’y arrive toujours !

Ok, en réalité je m’attendais à ce que mon petit numéro fasse son petit effet sur Anae. Parce que je voulais me rattraper un peu de la honte que je venais d’avoir en renversant l’intégralité de la pâte à crêpe sur le sol. Si j’avais en plus de ça rater de tirer la nappe… je crois que je serais partie me cacher dans le confess, jusqu’à ce qu’elle oublie au moins un peu cet évènement. Mais j’ai réussi, et là maintenant, j’étais fière de moi, parce qu’elle me regarde avec des yeux d’enfants. J’aime faire cet effet, j’aime voir les gens comme ça, pas pour ma propre fierté, mais parce que j’aime voir cette pointe d’innocence dans leurs yeux. Pour un simple geste. Je lâche la nappe sur le sol au niveau de la flaque de pâte, et laisse le tissu absorber le liquide.

Bien sûr ! Mais faut que tu m’apprennes quelque chose en échange, on partage nos talents ! Qu’est ce que tu fais faire toi ?

Je la regarde tartiner la seule et unique crêpe survivante de Nutella. Je souris en repensant à sa proposition de partager, à laquelle j’avais simplement répondu par un rire. J’appréciais d’être dans cette maison, pleine d’inconnus. Il y avait des choses à apprendre sur chaque candidat, et j’aime découvrir les gens. J’espérais seulement qu’Anae ne jouerait pas la carte de la fille mystérieuse sous prétexte de devoir cacher un secret.

La nappe pour nettoyer le sol n’était pas forcément une bonne idée, j’ai l’impression de faire plutôt pire que mieux en étalant encore un peu plus la pâte à crêpes. Mais je continue quand même, j’essaye de faire bonne impression en nettoyant mes bêtises, je ne voudrais pas qu’on pense que je suis du genre à laisser tout en plan sur la table de la cuisine après avoir fait quelque chose à manger. Que je n’ai pas fait d’ailleurs. Ou presque pas, si on omet la crêpe qui a l’air de plaire à Anae. Mes yeux lui crient «savoure-la, elle est unique». Cependant lorsqu’elle me tend la crêpe en m’en proposant un bout, je lui souris poliment en tournant la tête de droite à gauche en signe de négation. C’est sa crêpe, je ne veux pas l’en priver. Je crois que je vais essayer de rester loin du monde des crêpes pendant un moment.

Je m’affaire toujours penchée vers le sol à essuyer la catastrophe qui venait de se dérouler dans la cuisine, lorsqu’elle me dit qu’elle peut m’apprendre à faire des cocktails. DES COCKTAILS ! Mais pourquoi a-t-elle cet air déçu ?

Tu rigoles ! J’adore les mojitos, les cosmo, les caipirinhas, si seulement je savais les faire moi-même ! Apprends-moi s’il te plaiiiit ! Mais ça te vient d’où, ces connaissances en matière de cocktail ? Je veux dire moi le coup de la nappe, c’est juste des années d’assiettes ayant volées en éclat, l’entrainement. Mais les cocktails, faut avoir une base non ? Je suis pas sûre de pouvoir mélanger tout et n’importe quoi, enfin j’en sais rien en fait, ça a jamais été à moi de m’occuper de l’alcool chez moi, c’est Noah qui s’en occupe. Mon esprit se perd quelques dixièmes de secondes, m’entendre prononcer son nom à voix haute me fait du bien. Mais je parle trop je crois là, pardon, je sais pas ce qu’il m’arrive dans cette maison, je suis moi et tout le contraire à la fois.

« Bizarre, bizarre, bizarre » sonne l’alarme dans mon cerveau.