DAVID & ANA - sound of silence.

Une vodka-orange. Une vodka-pomme. Une vodka-coca. Une vodka-limonade. Une vodka-pomme. Une vod… La bouteille a disparue. Ce soir, j’avais besoin de ça. Besoin de ne plus savoir ce que je fais, ce que je pense, ce que je suis, ce que je vis. J’avais besoin de me sentir légère, d’avoir l’esprit qui divague. J’avais besoin d’oser. Mais il était temps que j’aille me coucher maintenant. Parce que j’étais seule, et que boire seule ce n’est pas normal.

J’entre dans la chambre, et je me dirige vers mon lit, les yeux à moitié fermés. Sauf qu’il y a quelqu’un sur mon lit. Un mec. Ce mec. Evidemment, ça ne pouvait pas être quelqu’un d’autre.

Ah t’es là, je t’avais pas vu. Mais je rêve ou t’es pas avec ta sœur ? Je dois être en train de dormir, c’est ça hein ? Je savais que j’aurais dû venir me coucher plus tôt. Et pourquoi t’es sur mon lit ? Tu veux un câlin? Je regarde autour de moi, comme à la recherche de son lit pour lui indiquer la direction à prendre. Sauf que… c’est moi qui me suis trompée de lit. Mais j’ai pas envie de le laisser tranquille, parce que j’ai envie de voir qui se cache derrière cette façade. Derrière ce visage fermé. Le mystère attire l’être humain, je ne suis qu’humaine. C’est mon lit, tu m’entends ? Alors comme évidemment il ne me répond pas, je décide de m’allonger à coté de lui, parce que je suis censée penser que c’est mon lit, alors je vais pas lâcher l’affaire. Et le lit est étroit, alors je dois me coller à lui. Il ne peut pas rester sans réagir. Je veux le faire réagir. Ici, sans sa sœur. Je veux voir qui il est. Et les quelques verres de ce soir m’ont donné assez d’audace pour le chercher.

“I wasn't very good at socializing, and then I discovered alcohol, and it was like OH MY GOD MY LIFE'S CHANGED!” Je ne sais plus d’où me venait cette phrase, mais je l’avais gravé dans ma mémoire à l’instant où je l’avais entendu. Parce que j’aurais très bien pu en être l’auteure, et que ça me rassurait de savoir que je n’étais pas seule dans ce cas. L’alcool me fait pousser des ailes, je ne serais clairement pas dans cette situation si je n’avais pas fait disparaître la bouteille de vodka ce soir. Enfin disparaître, c’est juste un joli mot, en réalité je savais exactement où le liquide était passé. Et il m’aidait ce soir, comme beaucoup d’autres soirs. Sans cet enivrement, j’aurais peut-être osé parler à ce David, mais jamais je ne me serais allongée sur son lit. Et quand bien même j’aurais osé le faire, je me serais relevée immédiatement lorsque je l’aurais vu s’éloigner de moi comme si j’avais la varicelle. J’aurais quitté son lit, parce que je sais bien que c’est son lit, et j’aurais même quitté la chambre, trop vexée de l’avoir fait fuir comme ça. Seulement ce soir, je peux tout faire, parce que je suis dans un doux brouillard alcoolisé, et que rien ne peut m’atteindre.

Mais comment je peux le dégouter autant que ça ? Pour qu’il se recroqueville au bord du lit comme il vient de le faire, ça ne peut pas être autre chose. Je le dégoute. Mon amour-propre en prend un coup, mais je ne vais pas abandonner pour autant. Et cette voix, lorsqu’il me dit de dégager. Je sens dans son intonation qu’il se veut convaincant, et agressif. Mais je sens autre chose derrière. Autre chose, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Ce mec n’est pas juste un mystère, c’est une véritable chasse au trésor, sans carte, dans le noir, les yeux bandés, les mains attachées derrière le dos. Et moi, je prends le risque de m’y aventurer. Le risque, le danger, pourquoi je n’arrive pas à en rester éloignée. Et ce soir encore moins. Il est là, dans le même lit que moi, je ne pourrais certainement jamais reproduire cette scène. Il est là, sans sa sœur, c’est maintenant que je dois le découvrir.

Et sans aucune notion du danger, sans crainte de ce que pourrait être sa réaction, sans me demander si ça se fait ou non, je me rapproche de lui, doucement, car un mouvement trop brusque pourrait le faire tomber du lit. Je me rapproche suffisamment près pour l’attirer vers moi, et vers le centre du lit pour éviter la chute. Suffisamment près pour pouvoir me lover dans son dos, et poser ma tête sur son épaule. Suffisamment près pour lui murmurer à l’oreille.

Non, j’irais nulle part, je reste là, et c’est pas en fuyant mon contact que tu vas réussir à me dégager. Tu vas tomber, idiot. Et je resserre mon étreinte.

Je ne comprenais pas comment il pouvait être si gêné que je sois si proche de lui, physiquement parlant. Parce que mentalement, je ne m’étais pas sentie aussi éloignée de quelqu’un depuis longtemps. Je ne saisissais absolument rien de lui, je n’avais rien à quoi me raccrocher. Et pourtant, il était là, et j’étais là. Peut-être que je regretterais cet élan d’audace le lendemain, ou même dans quelques minutes. Mais à ce moment précis, je ne voulais rien faire d’autre.

Ce qui devait arriver arriva. On se retrouve tous les deux par terre, un gros boum et nous voilà étaler sur le sol. Mais je ne le lâche pas, je ne le lâcherai pas, pas ce soir. Jamais. Et son rire qui s’envole aussi haut que s’envolent les cris des oiseaux. Son rire que personne n’a jamais entendu ici, et peut-être même ailleurs. Son rire est pour moi, il rit avec moi. Je le découvre, enfin. Il n’est pas celui que tout le monde voit. Je crois même qu’il n’est pas celui que sa sœur voit. Je sais, je m’emporte, mais la vodka me permet de tout voir comme je veux, tout est beau, tout est simple. Il n’y a qu’à agir, sans réfléchir. Je me fous de savoir ce qui le pousse à agir comme ça soudainement, de s’ouvrir à moi. Il peut être aussi saoul que moi, qu’importe, parce qu’à ce moment précis, il rit et je ris avec lui. Mon rire est plein d’innocence, parce que rien d’autre n’existe ce soir que lui et moi, parce que j’oublie tout le reste, parce que mon cerveau est trop embué pour se torturer comme il a l’habitude de le faire. Parce que j’ai réussi à entrer dans son monde, ou à nous construire un monde. Un monde dans lequel il vit, dans lequel il a envie d’être. Et je veux y être avec lui.

Je me laisse emporter dans ses mouvements, je le laisse tout contrôler, je le laisse m’emmener où il veut. Ce soir je suis prête à tout. J’ai voulu m’approcher de ce mec que personne n’osait approcher, parce qu’il repoussait toute tentative. Et moi je suis là avec lui ce soir. J’étais sûre qu’il y avait quelqu’un derrière son masque de mec blasé. Et j’ai envie de rester avec ce quelqu’un. Je suis tellement imbibée d’alcool que je ne suis même pas surprise de le voir s’agenouiller devant moi et me demander en mariage. Là maintenant, comme ça. J’ai envie de lui sauter dessus, de lui crier un OUI que tout le monde entendrait. J’ai envie que tout ça continue, j’ai envie de me sentir aussi libre que ce soir pour toujours. Alors je lui saute dessus, comme une petite fille sauterait dans les bras de son père qui vient de lui offrir sa première poupée, en criant oui à tue-tête.

Je veux t’épouser ce soir, tout de suite, vite ! Avant que tu changes d’avis, que tu te demandes ce que tu es en train de faire, que tu réalises que je suis bourrée et que moi-même je ne sais pas ce que je fais. OUI je veux t’épouser !

Et toujours dans l’euphorie du moment, mes lèvres viennent rencontrer les siennes. Intensément, précipitamment, passionnément.