KEN & ANA - boo !

Le papa Tortue, et la maman Tortue, et les enfants Tortue iront toujours au pas. Sortant du confessionnal, je chantonnais cette chanson me dirigeant vers la salle csa. Les chansons enfantines m’apaisaient. Jamais on n’a vu et jamais on ne verra la famille Tortue courir après les rats. Noah se joignait toujours à moi à la maison. Mais Noah n’était pas dans cette maison. Et je ne voulais pas penser à Noah. Sa lettre me restait encore en travers de la gorge. Même si je savais très bien que ma réaction était disproportionnée. Parce que bien sûr il ne pouvait rien comprendre de ce qu’il se passait avec Fred. Comment pouvait-il comprendre, lui, à l’extérieur, si moi-même je ne comprenais rien. Je lui en voulais, injustement, d’avoir pu penser que… Le papa Tortue, et la maman Tortue.

Arrivant devant la porte de la salle csa, j’ouvrai la porte toujours en chantonnant. J’entre dans la pièce et m’installe dans un coin. J’aime m’installer dans les coins. Peut-être parce que je pense devenir invisible. Je me sentais en sécurité dans les coins, les endroits étroits, fermés. Les yeux rivés sur mes mains, je reprenais pour la douzième fois ma chanson. Jamais on n’a vu et jamais on ne verra la f… Il me suffit de lever les yeux une seconde pour l’apercevoir. Ken était installé là, et je ne m’étais aperçue de rien. L’air de rien, je reportais mon attention sur mes doigts. Mais la chanson s’arrêtera là. Je n’avais pas vraiment peur de ce qu’il pourrait penser de moi, là, maintenant. D’abord parce que je me fichais de ce qu’il pouvait penser, et puis je me souvenais de notre bataille dans la cuisine. Ce n’était pas vraiment plus mature que ma chanson de la famille Tortue. Non, son jugement ne me faisait pas peur. Mais qu’est ce que je pouvais dire ou faire face à quelqu’un qui venait de m’entendre chanter la famille Tortue à tue-tête, qui venait de me voir passer devant lui sans que je m’en aperçoive ? J’étais ailleurs, il comprendra. Je sais qu’il comprendra. Il sait que j’ai ce genre de moments, des absences, où je ne sais plus vraiment qui je suis et ce que je fais. Enfin, je crois qu’il sait. Peut-être qu’il sait. Et puis peu importe qu’il sache ou pas.

Ce mec est vraiment plein de surprise. Qui l’aurait cru en le voyant le soir de la réunification? Je n’aurais pas pensé vivre ce genre de moments avec lui. J’étais bien contente de ne pas juger les gens sur la première impression. Parce que maintenant, j’étais forcée d’avouer que je me sentais bien avec lui. Et que ces petits moments me manqueront si jamais je venais à sortir au prochain prime… Jamais on n’a vu, jamais on ne verra, la famille Tortue courir après les rats. Ne pas penser au prime. Penser à tout, sauf au prime.

Cet air qu’il se met à siffler. Je me sens légère, comme jamais depuis le début de l’aventure. Et depuis bien plus longtemps en fait. J’attrape sa main et on se met à danser comme ça, au milieu de la salle. Personne pour nous voir, personne pour nous entendre, personne pour s’imaginer quoique ce soit. Juste lui et moi, en train de danser, au rythme de son sifflotage. Un pas à droite, un pas à gauche. Ca en deviendrait presque romantique! Toujours en rythme, je me mets à imiter le bruit de la trompette, au bon moment dans la mélodie. C’était grossier, même ridicule, mais ça m’amusait. Mais en me concentrant sur ma trompette, j’en oubliais les pas, et je lui écrase le pied. Surprise par le contact de son pied sous le mien, ma trompette dérailla et je lui crachotais sur l’épaule. Prise d’un rire nerveux, je me confondis en excuse.

Désolé, oh non j’ai pas fait exprès j’te jure, désolé. Je frottais inutilement son épaule avec ma main. On ne voyait rien, mais je préférais assurer mes arrières. Tellement pas glamour. La prochaine fois on se boit une bière sur le canapé ça devrait être moins risqué. Pour le romantisme, je repasserais…

Stop, pause, que personne ne bouge. Je viens de faire le bruit le moins glam qui puisse exister (bon ok j’exagère un peu mais faisons comme si), et c’est ce moment qu’il choisit pour me faire son numéro du mec in love ? Enfin, pseudo mec in love, pour le jeu. Mais quand même. Il aurait pu choisir un autre moment. Je viens de lui écraser le pied, de lui proposer de boire une bière, et c’est ce moment qu’il trouve le plus approprié pour me faire ça ? C’est ça qui fait fondre les mecs ? La maladresse et les bières. Soit.

J’essaye de rester sérieuse, pour ne pas casser la magie du moment. Mes yeux étaient en plein fou rire, mais je ne laissais rien paraître. Je pose mes mains à l’emplacement de mon cœur, et le regarde en penchant la tête. Un « oooow » bien dégoulinant d’amour sort de ma bouche. J’ai l’impression de faire le remake de Roméo & Juliette, version moderne. Alors quitte à faire dans le romantisme, une idée me vient. Je regarde autour de moi, mes yeux se posent sur le cendrier. A coté de celui-ci, deux capsules de bière qui trainent. Je ne sais pas qui vient se cacher dans la salle csa pour boire sa bière en solo, à moins que deux candidats se donnent rendez-vous ici tous les jours… Bref, je vais chercher une des deux capsules et je me reposte devant Ken. Solennellement, je pose un genou par terre, et lève la tête vers lui, plantant mon regard dans le sien.

Ken, acceptes-tu de… de… enfin tu vois quoi. De…

Je suis entrée dans cette salle en chantant la famille Tortue, ne pensant à rien d’autre qu’à mon éventuel départ, et je me retrouvais maintenant un genou à terre, face à Ken, une capsule de bière à la main, tendue vers lui. Tout est normal.  

Je… Qu’est ce qu’il vient de dire ? Je t’aime tellement ! Il n’a pas pu me dire ça, si ? Il l’a dit. Il l’a dit ? C’est ce qu’il a dit. Il m’a dit je t’aime. Je déteste ce jeu, je déteste ces mots, je le déteste, mais pourquoi je souris ? Je ne dois pas sourire, c’est pas drôle, c’est plus drôle. Ces mots là sont sérieux, on ne peut pas jouer avec. Parce que le problème, c’est que même si tu me disais « j’adore » je te croirais pas. Je sais plus quand tu joues ou quand tu joues pas. J’suis perdue. Dis moi que tu m’aimes. Dis moi juste que tu m’aimes. Parce que moi j’oserais jamais te le dire la première, j’aurais trop peur que tu crois que c’est un jeu. Mais bien sur que c’est un jeu.

Soudain mes pieds quittent le sol, je vole. Je ris, je crie, j’ai peur, je ris encore, j’oublie ce qu’il vient de me dire. C’est euphorique.

Mais repose-moiiii, c’est pas comme ça qu’on envoie une fille dans les étoiles !

Une fois que mes pieds retrouvèrent enfin la terre ferme, j’eus l’impression que le voile d’humour derrière lequel je me cachais encore il y a quelques secondes venait de tomber. De s’écraser sur le sol, comme si un rideau de douche tombait pendant que vous étiez en train de vous laver, et que tout le monde pouvait alors vous admirer, un chapeau de mousse sur la tête et un gel douche Ushuaia dans la main.

Pourquoi t’as dit ça ?

Mon ton a été plus sérieux que ce que j’avais envisagé. Mais après tout, je passerais seulement pour une très bonne actrice, je joue le jeu. Personne ne pourrait savoir si ça avait été naturel ou non. Moi je savais, je savais qu’à cet instant, j’avais oublié le jeu.

Je secouais la tête de droite à gauche. Je l’entends mais je ne le comprends pas, je ne comprends pas ses mots, parce que je ne veux pas comprendre. Non, arrête, tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis, ce que tu fais. Arrête. Tais-toi, fais pas ça. Je le déteste. J’arrive pas à y croire. J’arrive pas à réagir. Et je sens la colère monter. Je suis prête à exploser. Il avait pas le droit, pas avec moi. J’ai envie de lui sauter dessus, de lui donner tous les coups que ses mots viennent de me mettre. Mais mes poings ne lui feront rien. Il pense que je suis la naïve de la maison alors, il pense que je suis la pauvre conne qui fait confiance à tout le monde, qui se laisse avoir dans tous les mauvais plans. Qui ne se méfie de rien. Il pense que je suis celle qui va le croire, croire à ses belles paroles, qu’il m’offre déjà sur un plateau. Je ne suis pas cette fille, et je ne le deviendrais pas, même si cette aventure est en train de me changer. Je ne serais pas cette fille, je ne tomberais pas si facilement.

Pourtant je me suis faite avoir, je pensais qu’il m’appréciait, qu’il serait un de mes alliés, j’en avais oublié les groupes formés de force par la production. Je croyais qu’un lien se créait entre nous. Alors que lui ne cherchait qu’à me manipuler, il veut me voir tomber. C’est tout ce qu’il veut, je le sais, je le sens. Je ne tiens plus, je tremble devant lui, je n’ai encore rien dit, et le silence n’a rien d’apaisant cette fois. J’explose, mes poings s’abattent sur son torse. Je suis ridicule, j’ai l’air d’un ouistiti en colère contre un éléphant. Mais je ne peux plus me contrôler.

Joue pas à ça avec moi Ken. Joue. pas. à. ça. avec. moi. T’as compris ? PAS AVEC MOI !

Et je le frappe, encore, je veux extérioriser cette rage. Je ne veux pas qu’elle me fasse imploser, c’est de sa faute, cette rage est pour lui. Les coups pleuvent sur son torse, je ne peux plus m’arrêter. Je ne vois plus rien, je ne peux rien faire d’autre.

Sa main qui s’empare de mon poing. Mais j’ai pas fini, j’ai pas fini, je veux te foutre ma rage en pleine face, que tu regrettes ce que tu es en train de me faire. Que tu comprennes que je suis pas la bonne personne, que je suis pas aussi fragile que ce que tu sembles croire. Pourquoi il arrête pas maintenant ? Je veux qu’il arrête, je veux sortir, je veux oublier ce qui vient de se passer. Je veux repartir en chantant la famille Tortue. Je ne veux pas qu’il joue avec moi. Et il parle encore. Mais qu’il se taise, je sens les larmes montées, je ne veux plus l’entendre, je ne veux plus qu’il s’approche de moi.

Mais ce ne sont pas mes larmes qui coulent. Une larme lui échappe. Comment peut-il… Je suis perdue, je ne comprends plus rien. Mes défenses sont en train de s’écrouler. J’ai peur. Et sa main qui serre mon poing. J’essaye de me détacher avec l’autre main, mais en vain. Il ne veut pas que je parte. Il me retient. Puis il pose ma main à l’emplacement de son cœur. Il me regarde droit dans les yeux. Son regard me transperce. Est-ce qu’il perçoit tout ce qu’il est en train de me faire ? La tempête qui débute en moi ? Je ne suis plus énervée, la rage a disparu. Je suis perdue. Complètement perdue. Là, son regard planté dans le mien, je ne comprends plus rien, je ne sais plus ce que je dois penser, ce que je dois faire. Complètement perdue. J’étais convaincue qu’il jouait, c’était tellement plus facile, lui en vouloir parce qu’il joue avec moi. Alors qu’il n’en a pas le droit, on ne peut pas jouer comme ça, avec les sentiments. Pas avec moi, pas maintenant. Pas ici. Il ne peut pas être sincère, je ne peux pas le croire, je ne peux pas lui faire confiance. Même si tout est plus fort depuis qu’on est enfermé dans la maison des secrets, tout est accéléré, multiplié, je ne peux pas le croire. C’est trop risqué. Ses mots sonnent faux. Il faut que j’oublie les battements affolés de son cœur que je sens à cet instant. Ce n’est pas réel. Je le déteste de nouveau. Et si mon corps reste calme, ce n’est qu’une façade.

Je retire ma main, brusquement. Mais je reste plantée là, devant lui, sans détacher mon regard du sien. Je ne veux pas qu’il me sente fragile. Ca serait trop facile.

Non. Non, toi tu vas écouter. J’ai l’impression que tout me crie de rester loin de toi, et pourtant contrairement à d’autres je t’ai pas jugé, je suis venue vers toi, et j’en étais fière. Parce que j’aimais l’homme que j’ai découvert, parce que je pensais que les autres se trompaient, parce que j’étais bien avec toi. Et maintenant… Maintenant tu me fais le coup du mec complètement amoureux, le coup de foudre et toutes ces conneries. Putain mais tu me prends pour qui ? Qu’est ce que t’attend de moi ? C’est ça ta stratégie? Tu crois que te mettre en couple dans la maison ça va te protéger ? Tu crois que les gens te garderont parce que t’es amoureux ? Mais tu te trompes ! Et je te crois pas, non je te crois pas, tu vois je suis pas si conne que tu le penses. Alors arrête. Arrête maintenant et je pourrais te pardonner d’avoir voulu jouer avec moi. Sois sincère, là, tout de suite.

Ok, la rage n’était pas du tout partie. Si mes poings restaient tranquilles, chaque mot reflétait toute la haine que je ressentais. Mais je n’avais pas fini. Parce que je venais de réaliser quelque chose. Un rire nerveux m’échappa.

Mais tu vois t’as pas tout à fait tort, je suis conne. Je pense encore que t’aurais envie de garder quelque chose avec moi, comme si je comptais pour toi. Comme si t’avais besoin que je te pardonne. Alors que t’en as rien à foutre. Hein c’est ça ? T’en as rien à foutre ? Mais vas-y dis-le, dis-le !

J’avais fait un pas en avant vers lui, emportée par mes paroles. On ne pouvait être plus proche. Et pourtant je n’avais qu’une envie : fuir.

T’as pas le droit de faire ça, arrête toi maintenant, s’il te plait. Arrête, je ne vais pas tenir encore très longtemps. T’as pas le droit bordel, t’as pas le droit. Ca crie, ça hurle, c’est le chao dans ma tête. Et lui devant moi, qui ne flanche pas. Pas une seconde. Pas une seconde il ne lui vient à l’esprit d’arrêter son cinéma, son jeu stupide, horrible. Tant qu’il en est encore temps. Pas une seconde il ne pense à ça. J’ai l’impression d’être devant un accusé avec des preuves accablantes de sa culpabilité, qui maintient quand même être innocent. Et ça me tue, ça me bouffe. Je veux qu’il arrête, avant que je lui en veuille trop de ce qu’il fait. Ce qui est certainement déjà le cas. C’est ce qui serait logique. Mais pourtant…

Il me tombe dans les bras. Après des mots qui me semblent encore plus vides que les autres. Je me retrouve contre lui, et je ne sais pas résister, mes bras s’entourent autour de lui, ma main se pose sur ses cheveux. Comme si mon corps lui faisait confiance. Alors que ma conscience me dit tout le contraire. M’énerver contre lui n’avait pas été la bonne solution. Peut-être parce que c’est ce qu’il attendait. Je n’en sais rien, mais je n’avais pas réussi à arrêter ce jeu malsain en lui criant tout ce que je pensais. Je devais me calmer. C’est donc avec une voix calme que je reprenais la parole.

Je sais pas ce qui te prend Ken, mais même si tu penses ce que tu dis… ça peut pas être vrai, tu me connais pas, tu connais rien de moi. Et moi non plus, je t’aime bien, vraiment, j’adore passer du temps avec toi, mais… Tu peux pas dire ça maintenant, ça peut pas être de l’amour. Que ce soit une stratégie ou pas, arrête s’il te plait. Si tu tiens au moins un peu à moi, arrête.

J’avais tellement de mal à prononcer ces quelques mots. Je ne pouvais pas lui faire confiance. On ne pouvait faire confiance à personne ici, pas tout de suite, pas aussi vite. Pourtant je m’en voulais déjà de ce que je lui faisais subir.

Je l’écoute, attentivement, j’écoute chacun de ses mots, et ils ne m’énervent plus. Je les écoute simplement. Et si tout ça est vrai… alors je peux comprendre son appréhension, je comprends ses mots. Et la peur de notre éventuelle sortie imminente me revient, elle me donne le vertige. Parce qu’il y a peu de chances que nous rentrions tous les deux dans la maison après notre passage dans le sas. Trop peu de chances. Parce que peut-être que je ne reverrais plus cette maison, cette pièce. Peut-être que je ne danserais plus jamais avec lui, peut-être que je ne l’entendrais plus jamais siffler cet air de Monstres&Cie. Peut-être que tout se terminera à la fin du prochain prime.

Je ne veux pas que tout se termine. Tout ça. Lui. Elle. Moi. Eux. Je ne veux pas que ce soit déjà la fin. Pourquoi faut-il toujours une fin. Tout a une fin, toujours. C’est injuste. On devrait pouvoir changer ça. Il ne devrait pas y avoir une fin pour tout. Et pourtant. Tout se termine toujours. Quand on le veut, quand on l’attend. Mais surtout quand on ne l’attend pas, et qu’on ne le veut pas. Il se détache de moi, et j’ai l’impression qu’un fossé se creuse instantanément entre nous. Infranchissable. Le regard vide, je l’observe rouler sa cigarette. Lorsque sa voix se fait à nouveau entendre, le réveil est brutal.

Tout disparaît, tout s’efface. C’est comme si rien ne venait de se passer, rien de tout ça n’a existé. Mon esprit a tout inventé. Il n’a jamais prononcé ces mots. Tout a disparu. Je me sens tellement faible. Mes jambes sont prêtes à me lâcher. J’ai tout inventé, rien n’a existé. Tout inventé. Aussi fragiles me semblent-elles, mes jambes me portent jusqu’à la porte de la salle. Ma main se pose sur la poignée. Je ne vois rien de ce qu’il se passe autour, je n’entends rien. Le regard vide.

Je fume pas.

J’ouvre la porte, mais je ne bouge pas. Je reste là. Et je sais qu’il ne comprendra surement pas ce qui me prend, je sais qu’il ne comprendra rien à cette réaction. Il ne comprendra rien à ma déception.

(finalement j'aime bien cette fin, donc RP TERMINÉ)