"Regarde le ciel". Tagué sur un des murs de Paris. Regarder le ciel. Le ciel de cette ville où tout le monde s'entête à fixer le sol, constamment. Cette ville sale, ces gens sales, qu'Art détestait plus que tout au Monde. Paris et ce tag... Art avait retenu chaque détail de cette journée. Un souvenir qui avait une place spéciale dans sa mémoire. Parce qu'il ne voulait pas oublier. Jamais. Il voulait se souvenir de ce jour où il est retourné dans cette rue, et où il l'a vu... Où il a vu que le tag avait été effacé. Qu'on avait peint par dessus. Comme s'il s'agissait d'un graffiti obscène, comme on l'aurait fait s'il avait été question d'un dessin de pénis.

Cela faisait aujourd'hui six ans. Exactement six ans. Alors, aujourd'hui était un jour important. Un anniversaire important. L'anniversaire de cette journée. Une journée tellement loin de tout ce qui s'était passé dans la Maison des Secrets, loin des nominations, des secrets, loin du jeu. Un vrai anniversaire. La "vraie" vie. Et pourtant, aujourd'hui, Art avait envie que tout le monde sache. Que tout le monde se souvienne avec lui. De ce vrai souvenir. Le souvenir de ce tag. Ce tag sur ce mur. Ce mur devant lequel il passait une fois par semaine. Un tag, effacé, il y a six ans. Exactement six ans...

Aujourd'hui était l'anniversaire de ce jour. L'anniversaire de l'Art. L'Art renié. "Regarde le ciel"... Street Art. L'Art de rue. Loin d'être du vandalisme, l'Art de rue était brillant. Tellement brillant… Mais alors pourquoi avait-on effacé ce tag ? Etait-il réellement considéré comme un crime ? Qu'avait-il de sale ? Pourquoi ne méritait-il pas lui aussi sa place dans un musée ? Qui décide de ce qui est Art et de ce qui ne l'est pas ? Et pourquoi, pourquoi ce tag était-il effacé ?! Effacé, supprimé, vulgairement, alors que le message qu'il essayait de faire passer était si noble, si beau, si brillant...

Art était dans le salon avec quelques uns de ses colocataires. Tous paresseux, affalés sur le canapé ou en pleine conversation. Et personne ne savait. Mais ils devaient savoir. Agir. Avec lui. Maintenant. Se rebeller. Avec lui. Adrénaline soudaine et Art saisit un des marqueurs qui étaient posé sur la table basse devant lui. Et comme un artiste de rue, il se mit à écrire sur le mur. Un mot. Un seul. Sur le mur du salon. ART. En grand. Tout en majuscule. Son surnom. Tellement beau. Tellement représentatif… Et le poing en l'air, Art se mit à crier pour ses colocataires :

LIBÉREZ, LIBÉREZ L'ART ! ART ! ART ! ART ! Allez, attrapez un marqueur et venez l'écrire sur tous les murs avec moi ! S'il vous plaît ! ART !

Manifestation d'une personne. Alors peut-être que personne ne le suivrait. Peut-être qu'on le prendrait pour un fou. Encore une fois. Peut-être qu'il échouerait misérablement. Peut-être qu'on viendrait un jour peindre par dessus son "Art". Par dessus son acte de rébellion. Peu importe. Parce qu'aujourd'hui, il fallait célébrer l'Art. Il le fallait. Tant pis pour #LaVoixSèmeLaTerreur. Il s'agissait là de la vraie vie. L'Art n'était pas un jeu. Il fallait qu'ils fassent quelque chose. Aujourd'hui plus que jamais.

ART. Trois lettres. Magnifiques... Alors dites-moi. Qui allait les tapisser sur les murs du salon avec lui ? Qui allait se prêter au jeu ? Qui allait être prêt à se rebeller avec lui ? A se libérer ? A s'exprimer à travers l'Art ? Qui allait commérer le Jour du Tag Effacé avec lui sans poser de question ? Qui oserait ? Qui se lancerait ? Qui aurait peur ? Qui serait Artiste ? Et surtout, qui ne l'était pas ?

"Libérez l'Art !" Un appel à l'aide. Personne n'y répond. Personne ne répond à cet appel à l'aide, comme une bouteille à la mer. Les minutes s'écoulent. Plus d'espoir. Audace vaine. Les minutes s'écoulent et il n'y avait toujours qu'Art. Art et l'Art, effacé. Art, son poing en l'air et son marqueur. Tous les trois, ridicules, au milieu de cet océan immense. Au milieu de ce salon, au milieu de ces regards… Soudain, il était tellement faible. Comme une flamme au milieu d'une tornade. La naïveté d'avoir cru qu'il pouvait le faire. Qu'il en était capable. Qu'il pouvait être normal. Influent. Courageux.

"Libérez l'Art, libérez moi… Je vous en supplie, je m'enfonce dans le sol... Par pitié, faîtes taire les voix..." Un deuxième appel à l'aide. Mental, cette fois-ci. Audace disparu. A présent, il n'était plus porté par aucun espoir. Il s'était enfoui. Personne ne semblait pouvoir le sauver. Espoir évanoui. Dans le coma. Jusqu'à ce qu'elle se lève. Alors que plus rien ne semblait possible. Elle. Elle allait participer. Elle, parmi tous les autres. Elle. Elle le sauvera. Elle libérera l'Art. Elle s'était levée, pour lui. Avec lui. Charlie, l'artiste. Elle avait compris. Bien sûr qu'elle avait compris. Charlie, l'Artiste.

Leur échange n'était encore que regards. Pas de paroles. Leur voix, des mots écrits sur les murs de la maison. Des mots, de l'art. Un échange artistique, comme au premier soir. Silence, le bruit de son marqueur qui crisse sur le mur. Ses mots si beaux à côté de son prénom. Art. Prends le temps de t'arrêter. Prends le temps de regarder… Mais personne n'avait pris le temps. Personne ne s'était arrêté. Personne n'avait jamais pris le temps. Personne, jusqu'ici. Tout avançait toujours trop vite, constamment. Le monde continuait, en laissant Art sur le bas-côté. En laissant l'Art dans le fossé.

Mais aujourd'hui, Charlie l'avait sauvé. Charlie avait sauvé l'Art. Avec ses mots. Ses mots, de l'Art, sortis de la pointe de son feutre... Alors au diable la mission. Au diable le jour du Tag Effacé. Au diable les autres. Au diable la rébellion. Charlie était là et c'était assez. Plus personne n'avait besoin de parler, plus personne n'avait besoin de participer. Plus besoin d'aide. Plus besoin de rien, tant qu'il y avait Charlie. Charlie et ces échanges, toujours aussi précieux. Plus précieux que l'Art, plus précieux que tout. La pointe de ce feutre, quand personne d'autre ne s'était levé. Quand personne n'avait voulu libérer l'Art...

Et à présent, plus personne n'avait besoin de le faire. Parce que Charlie avait pris le temps. Elle avait été là. Et maintenant, ce feutre était là. Ce feutre avec lequel elle l'avait sauvé. Ce feutre que, maintenant, elle lui tendait. Symbolique. Ce feutre, comme un morceau de son cœur qu'elle lui offrait. Comme un bout de sa chair. Charlie. Vraie. Sincère. Comme l'Art. Gratitude infinie. Dans les joies, dans les peines. Pour toujours. Le feutre. Charlie. L'infinité. Sans limite. "Je te le jure."

Merci, Charlie.

Réellement, Art et Charlie n'étaient rien. Que des regards, quelques morts, un Art, des arts entrelacés curieusement. Intimement. Autrement. Ce lien différent, ce lien qui semblait n'avoir besoin de rien de plus. Parce qu'Art et Charlie étaient libres. Parce qu'ils s'étaient libérés. Ils s'étaient libérés par l'art. Ensemble. L'Art était ce lien. Leur lien. Profond, solide. Ce feutre qu'elle lui avait tendu. Ce feutre d'une valeur inestimable... Il fallait qu'il l'utilise. Mission sublime. En dessous de ce que Charlie avait écrit, de ses mots qui l'avait sauvé. Sous cette phrase que Charlie avait pris le temps d'écrire, Art vint ajouter deux mots... Deux mots timides. Timides mais importants.