Cette situation devenait plus qu’insupportable. Je ne supportais plus de devoir venir m’assoir sur ce fauteuil, attendant comme un couperet les hypothèses de mes colocataires. Je me rendais malade, imaginant sans cesse qu’ils allaient trouver et que j’allais devoir faire face à leurs reproches, à leurs critiques, à leurs jugements. Plus ce moment se rapprochait, plus je le sentais s’éloigner, et plus je redoute qu’il arrive, et plus je prie pour qu’ils ne trouvent jamais. Je n’en peux tout simplement plus. Je ne dors plus. Je ne mange plus. Je ne vis plus. Je suis dans l’attente constante. Chaque instant est pire que le précédent, je me sens traquée, surveillée. Chacun de mes gestes, chacune de mes actions. Après Ana, Ryan, et maintenant Laury. Qui serait le prochain si toutefois prochain il y avait ?

La voix de Laury retentit dans la pièce, encore une fois, comme les précédents avant elle. Et plus les révélations avancent, pire elles sont à supporter. Les mots qu’elle emploie sont comme une guillotine, s’écrasant sur moi avec violence, fracas, et soudaineté. Anorexie mentale. Lutter contre la faim. Perdu l’appétit. Stérile. Mon regard se tourne vers Owen, si mes yeux pouvaient fusiller, il viendrait de s’effondrer au sol. Je sens les larmes monter, encore une fois. Trop souvent. Toutes ces images dans ma tête, toutes ces photos de publicité, avec ces filles si minces, si jolies. Avec ces filles si malades. Et puis ces images d’enfants. De ceux que je n’aurai jamais pour moi maintenant.

J’en oublie que je dois lui répondre. Je me sens partir. Loin dans mes pensées. Dans mes souvenirs. Dans mes démons. Et je ne regarde rien d’autre que mes pieds au sol, qui se disent bonjour l’un l’autre. Mes pieds qui peuvent m’éloigner de là, m’amener loin, dans un endroit plus en sécurité. Je veux que Stéphane vienne me chercher, je ne veux plus jouer, c’est terminé.

Une larme coule au sol, rejoint mes pieds, tombe entre eux. Je ferme les yeux, penche le visage en avant, je ne me suis jamais sentie aussi mal depuis un moment. J’aimerais tellement être ailleurs. Ne pas entendre ces phrases. Parce qu’elles me coupent plus qu’un couteau enfoncé en plein cœur. Ma voix ne veut pas sortir, elle est nouée, entièrement. Bloquée. Je n’y arriverai jamais. Laissez-moi tranquille. Laissez-moi, je vous en prie, je ne veux plus jouer. Je ne veux plus. Je ne peux plus.

non… non… non… laissez-moi s’il vous plait… laissez-moi tranquille… je veux plus…

Mon corps se recroqueville sur lui-même. Je n’ai plus la force de lutter. J’aimerais tellement dormir. M’endormir maintenant. Me réveiller ailleurs. Ou ne plus me réveiller. Ne comprennent-ils donc pas que je n’en peux plus de leurs jeux ?

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